La Pierre Nauline, nommée aussi Pierre Mouline ou Palet de Gargantua, est un bloc de granite émergeant de l’eau dans le lit de l’Yon, qui a fait l’objet de légendes locales (voir légendes en fin d’article). Elle serait le Palet de Gargantua. Plus loin, émerge un autre bloc qui est parfois interprété comme le Palet du Diable. Le 7 octobre 2023, trois membres de notre équipe du GVSPA, après être allé voir la Pierre Tournante (voir l’article : Etude de la Pierre Tournante, Rives-de-l’Yon – Chaillé-sous-les-Ormeaux (85), 2021-2023), se sont rendus à la Pierre Nauline et au Palet du Diable.
Leur intérêt anthropologique a laissé penser qu’ils pouvaient aussi avoir un intérêt archéologique. Ainsi, l’un des membres s’est équipé d’une combinaison de plongée pour les atteindre à nage afin de les mesurer et vérifier la présence éventuelle de traces anthropiques :
La Pierre Nauline mesure 4,45 m de long (est-ouest), 3,60 m de large (nord-sud) et 4 m de haut. Le Palet du Diable mesure 2,60 m de long (nord-sud), 2,35 m de large (est-ouest) et 1,70 m de haut. Ces deux blocs sont en position géologique et ne contiennent finalement aucune trace anthropique.
En revanche, en bas du coteau sur la berge proche et en face de la Pierre Nauline se trouve une source, en partie aménagée, nommée La Fontaine Nauline. Cette proximité avec la Pierre Nauline n’est probablement pas dû au hasard. Dans un tel environnement régulièrement gorgé d’eau, entre la rivière et les ruissèlements et infiltrations d’eau de pluie, tout le long du coteau, l’eau peut éventuellement jaillir en divers endroit dans ce secteur, quitte à creuser si besoin. Dès lors, il est très probable que ce soit précisément en face de la Pierre Nauline qu’il ait été choisi d’aménager une fontaine pour des raisons d’ordre pratiques et/ou symboliques. Durant notre intervention, cette fontaine a donc été dégager de la végétation envahissante et nettoyée de la boue qui stagnait à l’intérieur.
Pour en savoir davantage, l’étude de la Pierre Nauline et ses alentours a été réalisée dans un mémoire de Tom Brachet sur les Pierre à légendes de Vendée au sein de l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociale).
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Légendes de la Pierre Nauline
Edmond Bocquier,« Monographie de Chaillé sous les Ormeaux » dans « Annuaire Départemental de la Société d’Emulation de la Vendée, 1901 quarante huitème année », paru en 1902 :
« Nous rapportons ici l’une des légendes auxquelles les mégalithes de la Roussière et de Follet ont donné naissance :
Un matin, Gargantua, histoire d’esbaudir ses esprits animaux, comme le lui avait enseigné maître Ponocrate, résolut de faire une petite promenade avant son déjeuner. Il partit de Nantes et se dirigea vers la Rochelle. En arrivant sur les bords de l’Yon, près du Tablier, il vit venir à lui un monstre tout noir, tout grimaçant, qui s’avançait avec des bruits de ferrailles et des craquements singuliers : Gargantua reconnut sa majesté infernale, qui lui proposa une partie. Le géant accepta ; il prit un énorme rocher et le posa sur le flanc du coteau de la Roussière : c’était le but, « le maître ». Les deux partenaires se placèrent de l’autre côté de la rivière et se procurèrent chacun un bloc de grison. Le diable, le premier, souleva sa roche à deux mains au-dessus de sa tête et la lança vers le but ; mais elle en tomba à plus de nonante toises. Gargantua prit posément son roc entre deux doigts, et, après avoir bien visé, le lança avec adresse : l’énorme pierre tomba à deux pas du but ; puis roulant sur le flanc du coteau, elle glissa dans la rivière où elle s’engloutit avec fracas (c’est aujourd’hui la Pierre Nauline) ; sous le choc, le sol frémit. Lucifer, épouvanté et furieux, s’était enfui, et Gargantua continua sa route en riant aux éclats et en se tenants les côtes.
Arrivé à Follet, entre Mareuil et Rosnay, il sentit quelques graviers dans l’un de ses escafignons. Il secoua alors sa chaussure et deux petits grains de sable en tombèrent ; l’un roula sur le bord du chemin et l’autre resta debout : ce sont les menhirs de Follet. Gargantua posa alors un pied sur la flèche de Luçon, bondit sur celle de Fontenay et disparut dans le lointain. »
Edmond Bocquier, Date inconnue (vers 1900 ?), « Monographie de Chaillé sous les Ormeaux à l’usage des enfants » (référence aux Archives de la Vendée : 59 J 127)
« Un vieillard au front ridé et à la longue barbe blanche, vêtu d’une robe grossière, exhorte un groupe de guerriers et les supplie de renier les Divinités des Eaux qu’ils vont implorer à la source de la Roussière et à la Pierre Nauline : cet homme, c’est le vieil Yon (2), qui vit à quelques pas de là dans une grotte froide et humide, entre la rivière large et profonde et un coteau sauvage et impénétrable. »
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Ferdinand Ydier, « Bulletin de la Société de Mythologie Française », n°62, avril-juin 1966 :
« Gargantua se rendait, un jour, de Nantes à La Rochelle et emprunta la vallée de l’Yon, ce qui était bien raisonnable, puisque c’est la voie la plus directe. Il ne paraissait pas pressé, car l’Yon gonflé, débordant, lui offrit l’occasion d’un bain de pieds dont il allait profiter. Il se déchaussait lorsque le surgit un monstre noir et grimaçant qui tenait entre ses mains un énorme quartier de roche arraché au lit de la rivière.
– « Eh bien, aimable Seigneur, je suis bien content de vous rencontrer pour vous proposer une partie de palets. Vous semblez avoir le temps. Regardez là, dans l’eau, ce beau rocher, il fait un palet magnifique. Pour un gringalet comme moi, je vous donne toutes les chances de gagner ».
Sa Majesté infernale exploitait ainsi le penchant bien connu du Géant qui transformait les grosses pierres et particulièrement les meules de moulins en palets et qui, faute d’adversaire de sa taille, s’amusait à jouer tout seul. Recevant une cordiale invitation, Gargantua sourit et se prépara :
« Entendu, Maître Satan… je suis à vous, le temps de me rechausser… je vais avoir du plaisir à me mesurer avec vous, grand Malin, car j’apprécie votre science ! ».
Sitôt dit, sitôt prêt ; Gargantua, à son tour, arracha du chaos un énorme bloc juste au-dessous du village de la Roussière, qui est en Tablier [nom de la commune voisine]. Ma foi, en toute justice, palet de Satan et palet de Gargantua, la partie était égale.
– « Où jouons-nous, Seigneur Satan ? »
– « Rien de plus simple : vous apercevez d’ici la Pierre Levée de la Roussière, sur la rive gauche. Ce sera notre « minche », Not’ Maître… »
– « Soit ! À vous l’honneur, Monsieur le Diable, puisque le mérite de la partie vous revient ».
Satan, d’un coup d’œil, mesura la distance et soupesa sans effort la grosse pierre qu’il tenait en main ; il se redressa et, étendant le bras, lança le palet. Il faut croire que sa vue avait baissé, car le rocher échoua à plus de nonante toises du but. Dépité, furieux, il s’écria : « Faites mieux, si vous pouvez, noble Sire, faites mieux que votre serviteur ! ».
Gargantua, tranquillement, s’approcha de la barre de départ du palet. Soulevant prestement celui-ci, notre géant visa la « minche » en clignant de l’œil et levant le bras droit, il lança le bloc qui, dans une jolie courbe, passa au-dessus de la rivière et vint rencontrer le sol à deux pas de la Pierre Levée, puis roula sur le terrain en pente et glissa dans la rivière où elle se ficha avec fracas, au milieu d’une gerbe d’eau. C’est aujourd’hui la Pierre Nauline.
La partie était finie. Lucifer, honteux de sa maladresse, rouge de colère, s’en fuit sans dire au revoir. Gargantua, mis en belle humeur, riait à gorge déployée.
Après le départ précipité de son adversaire, il musarda encore dans les parages et descendit la vallée. Le confluent du Péron et de l’Yon, à Rochereau, où l’Yon est en ravin, lui déplut un peu. Il n’y avait pas les coudées franches. Alors, sans hésiter, il s’appuya contre la colline, grata la falaise et fit tomber de gros blocs et ployer chênes et châtaigniers pour permettre au soleil de se mirer dans l’eau. Depuis, les roches encombrent le lit de l’Yon, mais l’Yon se faufile tout jours vers le val. Ici le val pris le nom de « Gorge-aux-Loups« , parce que ces derniers ont peuplé le coin ; c’était leur lieu de rendez-vous.
Ensuite Gargantua se reposa un instant· dans le vaste fauteuil de la Pierre du Vigneau ; il s’y trouva bien, ayant un siège à sa mesure. Il aperçut aussi une grotte dite le Four des farfadets. L’entrée en était si petite qu’il ne put qu’y jeter un coup d’œil, non sans entrevoir cependant ce que nous autres appelons une sole de quartzite à teinte ardoisée, teinte qui lui donne l’air de pierres calcinées. Les gens de la Buffardière accusent d’ailleurs les fradets d’y cuire leur pain. Gargantua n’en profita pas. Néanmoins, l’idée de La Rochelle lui revint. Il revint. Il reprit donc ses enjambées et, dès le premier pas, un pas de Géant, il est vrai, nous le retrouvons aux Pierres folles du Follet, en Rosnay. Et, un peu plus loin, l’Yon se jette dans le Laye et notre petite histoire est finie. »
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Bibliographie :
BOCQUIER Edmond, 1902, Monographie de Chaillé sous les Ormeaux dans Annuaire Départemental de la Société d’Emulation de la Vendée, 1901 quarante huitème année », paru en 1902
BRACHET Tom, 2024, Les Pierres à légendes de Vendée – De la mythologie à l’archéologie : étude de mégalithes inclassés, mémoire pour le Diplôme de l’EHESS.
YDIER Ferdinand, 1966, Bulletin de la Société de Mythologie Française, n°62, avril-juin 1966
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Article rédigé par Tom Brachet, le 17 septembre 2024.